bloc-notes public de Marc Auer

Notes persos, traductions, copies de secours… (vraiment) en vrac !

par Mathilde Spriet

source : site d’Helvetiq ; visionneuse en ligne et téléchargement en pdf : sur Adobe.com


Sophia Wagner vit en Allemagne et est autrice professionnelle de jeux de société depuis 2016. Elle a publié onze jeux, dont Mada, chez Helvetiq.

En tant que femme dans l’industrie du jeu de société, avez-vous ressenti des défis ou des obstacles particuliers à surmonter ?

Sophia Wagner : Je pense que les femmes rencontrent les mêmes obstacles que dans d’autres domaines. J’ai souvent été la seule femme dans les réunions. Et puis, beaucoup de choses se passent après les salons, autour d’un verre – ce qui n’est pas évident quand on a une famille. J’ai l’impression que beaucoup de projets se font grâce à des liens amicaux, qui sont peut-être moins faciles à construire entre une femme et un homme.

Les femmes et les hommes conçoivent-ils les jeux de société de façon différente ?

Peut-être que nous portons plus d’attention à l’émotion créée par le jeu. Je crois que, pour une femme, c’est plus amusant d’essayer de lire dans la tête de ses adversaires. On a ce besoin de partager quelque chose avec l’autre. Je pense aussi qu’on porte plus d’attention à l’esthétique d’un jeu, même si ce point est aussi culturel.

À votre avis comment l’industrie du jeu de société pourrait être plus inclusive, que ce soit envers les femmes, mais aussi toutes les minorités ?

Les illustrations sont un élément important, également en termes de représentation. La majorité des couvertures des jeux représentent uniquement des personnages masculins. Difficile, alors, de s’y identifier. Je pense que c’est quelque chose que les auteurs et autrices devraient garder en tête, afin que tout le monde puisse jouer et se sentir concerné. Aujourd’hui, les éditeurs sont beaucoup plus attentifs à cette question.

Il y a beaucoup plus d’auteurs que d’autrices. Pourquoi, à votre avis ?

J’ai l’impression qu’on retrouve un peu plus de femmes dans la création de jeux enfants, et moins dans les plus gros jeux adultes. Mais d’une façon générale, le monde du jeu est très masculin et, dans ce domaine, la plupart des experts et éditeurs sont des hommes. Lorsqu’on est l’unique femme, présenter son jeu demande un certain courage.

Quels conseils donneriez-vous à une autrice qui voudrait se lancer ?

N’attendez pas que le projet soit parfait pour le montrer. Les retours des joueurs et joueuses vous feront gagner un temps précieux pour l’améliorer. Allez dans les salons, rencontrez des professionnels… Vous avez tout à y gagner : retours, conseils, expériences, idées neuves… Les dix premiers jeux que vous créerez ne seront probablement pas publiés, et c’est normal. Cela fait partie du processus.

par Mathilde Spriet et Ludovic Papaïs

source : site d’Helvetiq ; visionneuse en ligne et téléchargement en pdf : sur Adobe.com


Bien que de plus en plus de femmes jouent, le monde du jeu reste – encore – un domaine essentiellement masculin. Pour s’y affirmer, les femmes doivent lever de multiples barrières.

Connaissez-vous le Spiel des Jahres, l’équivalent des Oscars pour les jeux de société ? Depuis 1999, seules 5 autrices de jeux y ont été distinguées... pour 103 hommes.

Même phénomène à l’As d’Or, le plus grand des prix français récompensant des jeux de société : ces deux dernières années, les 20 jeux nommés sont le fruit de 27 auteurs et 3 autrices. Et deux de ces autrices sont des co-autrices ayant fait équipe avec un auteur.

Le monde du jeu de société a pourtant la réputation d’être un domaine progressiste qui cherche à faire bouger les choses. Du côté du public, le nombre de joueuses a augmenté par rapport au début des années 2000, évoluant vers une plus grande parité. Cependant, si les jeux connaissent une popularité grandissante tous genres confondus, la présence des femmes en tant qu’autrices et professionnelles reste limitée. Cette réalité se reflète dans les propositions de jeux reçues par Helvetiq : moins de 10 % d’entre elles sont soumises par des femmes. Un pourcentage qui se retrouve dans les autres maisons d’édition.

Logique et stratégie

L’un des principaux facteurs contribuant à la sous-représentation des femmes dans l’industrie du jeu de société réside dans les stéréotypes de genre. Les jeux de société sont souvent perçus comme un domaine masculin, ce qui crée une barrière décourageante pour les femmes. Les stéréotypes associés aux compétences requises, comme la logique ou la stratégie, jouent également un rôle dans l’autocensure des femmes.

Leur représentation sur les boîtes de jeux illustre cette invisibilisation : « Une étude a révélé que seuls 5 % des jeux analysés montraient uniquement des femmes sur leur couverture ; 5,8 % présentaient un groupe de personnes composé principalement de femmes ; et 62,6 % avaient une couverture ne comportant que des hommes », constatait la chroniqueuse Erin Ryan sur le site Cardboard Republic en 2016. Et aujourd’hui encore, on trouve plus d’extraterrestres et d’animaux que de femmes sur les boîtes de jeux de société… Ainsi, à l’heure où les auteurs de jeux commencent enfin à être reconnus, où le public commence à attendre avec impatience la sortie du prochain titre de leur auteur préféré (citons Bruno Cathala, Antoine Bauza ou Reiner Knizia…), on ne peut que constater l’absence frappante de représentantes féminines.

Garder les enfants

Outre les stéréotypes de genre décrits plus hauts, qui freinent les aspirations des femmes dans le monde ludique, d’autres facteurs expliquent la faible représentation des autrices de jeux. Comme dans beaucoup d’autres domaines, le manque de modèles féminins en fait partie – bien qu’on voie enfin émerger certaines autrices reconnues comme Elizabeth Hargrave ou Sophia Wagner (voir en page 8) – tout comme le fait que les femmes sont moins prises au sérieux en général, et moins encouragées à exprimer leurs talents créatifs. Le temps moyen consacré aux loisirs, qui diffère entre hommes et femmes, constitue un autre élément en défaveur de ces dernières. En effet, le métier d’auteur ou d’autrice de jeux commence généralement par une activité annexe de loisir : rares sont ceux et celles qui parviennent à en vivre et à en faire une activité professionnelle à plein temps. Or, différentes études montrent qu’en Occident, les femmes consacrent en moyenne une demi-heure de moins à leurs loisirs que les hommes chaque jour. « Les tâches domestiques, notamment la charge des enfants, sont à mon sens la première cause de cette disparité dans le temps de création artistique », explique Elizabeth Hargrave, la conceptrice de Wingspan, Mariposas et autres jeux à succès. Autre exemple parlant : selon une étude publiée par The Center for Global Development, durant la pandémie de Covid, les femmes ont effectué en moyenne 173 heures supplémentaires de garde d’enfant non rémunérées, contre 59 pour les hommes.

Pas de cursus

Certains éditeurs portent attention à la diversité. Les femmes ne sont donc pas absentes des maisons d’édition, mais elles sont généralement moins bien représentées, et pas forcément actives aux postes éditoriaux. On trouve ainsi davantage de femmes dans des postes moins spécifiques comme le marketing, la communication ou l’administration.

Tout comme pour le métier d’auteur ou autrice de jeu, il n’existe pas de cursus précis pour devenir éditeur ou éditrice de jeux. Les femmes étant moins enclines à postuler à un poste pour lequel elles pensent ne pas disposer des compétences nécessaires, les hommes partent ici avec un avantage.

La sous-représentation des femmes en tant qu’autrices et professionnelles dans l’industrie du jeu de société est un problème complexe qui nécessite une attention soutenue comme dans tout autre domaine. Pour promouvoir la diversité et l’inclusion, il est essentiel de remettre en question les stéréotypes de genre, de soutenir activement les femmes talentueuses et de créer des opportunités équitables d’accès aux ressources et aux réseaux professionnels.

Helvetiq porte une attention particulière à cette problématique d’inclusion, et nous sommes d’ailleurs un contre-exemple puisque notre entreprise compte aujourd’hui 15 femmes… et 4 hommes.

source : liste des Philimag (téléchargeables), éd. Grammes


Bonjour Marine, qui êtes-vous ?

Bonjour ! Spoiler alert : je suis passionnée de jeux de société ! Avec Robin, nous avons créé Le Grenier Ludique. En dehors de ça, je suis Directrice Artistique, et je crée du contenu pour des marques sur les réseaux sociaux. Mon jeu préféré, c'est Dune Imperium et son extension Immortalité. En général, mes jeux favoris contiennent souvent des polyominos. Je m'arrête souvent aux jeux initiés, mais je suis curieuse de tout découvrir, pourvu qu'on m'explique les règles !

Pouvez-vous nous expliquer comment est né le projet Le Grenier Ludique ? Comment est-ce que cela fonctionne ?

On avait envie d’entreprendre dans le milieu du jeu et on était tristes pour les petites boîtes qui ne sortent pas assez de leurs placards. On voulait faire revivre les jeux oubliés et partager tout ça avec un maximum de joueurs. Le Grenier Ludique, c’est un projet de passionnés qui avance avec les joueurs, avec leurs retours et leurs envies. L’application permet de louer, vendre et jouer à des jeux de société entre voisins ! On a encore du chemin à faire pour que la location soit un vrai réflexe de consommation ludique mais on fait tout pour. On a d'ailleurs sorti une refonte complète de l’application en avril dernier : plus fluide, plus intuitive et avec plus de fonctionnalités.

Concrètement, n’importe qui peut, juste en scannant les codes-barres de ses boîtes, ajouter des annonces de jeux à louer/à vendre pour les mettre à disposition de ses voisins. Pour la location, pas de stress : on a prévu une caution et le paiement in-app est sécurisé. Maintenant, il est aussi possible d’ajouter des soirées jeux sur l'application : tu veux jouer à un jeu mais tu ne connais pas encore les règles et en plus il te manque des joueurs ? Mets une annonce et invite tes voisins à venir jouer ! L’idée, c’est de vous permettre de découvrir plein de jeux à moindre coût mais aussi de rencontrer de nouveaux joueurs afin de mieux consommer le jeu de société.

Quelles évolutions envisagez-vous pour l’avenir ?

Notre volonté est d’intégrer au maximum toutes les parties prenantes du milieu du jeu de société et notamment les professionnels : associations, bars & boutiques spécialisées, etc. Le Grenier Ludique a pour vocation d'être un véritable écosystème où chacun peut trouver son compte pour peu que ça parle de jeux. Un backoffice dédié sera bientôt disponible pour les pros pour les aider à faciliter leur activité de location qui se résume bien souvent à un carnet et un chèque de caution... Nous travaillons aussi sur un générateur de jeux qui vous proposera de découvrir un jeu après quelques questions. Enfin, chaque jour nous mettons en place des petites actions pour faire connaître Le Grenier Ludique au plus grand nombre et pour ça, rien de mieux que le bouche à oreille donc aidez-nous à en parler et rejoignez les 45 000 joueurs déjà inscrits (France, Belgique, Suisse, Luxembourg). L’application est gratuite à télécharger, il ne manque plus que vous !

paru dans PhiliMag nᵒ 37 (septembre 2023)


Bonjour Paul, pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre expérience en tant qu’illustrateur sur Dorfromantik, le jeu de société ?

Je viens de Berlin et suis un artiste visuel qui travaille principalement pour l'industrie du divertissement. J’illustre notamment pour les studios de design primés KARAKTER (Berlin) et Envar Entertainment (Stockholm), ainsi que pour plusieurs jeux vidéo renommés, des séries connues et des blockbusters. Dorfromantik, le jeu de société est le premier jeu de société que j’ai illustré. Le grand défi était de préserver le style charmant du jeu vidéo tout en répondant aux exigences et codes des jeux de société. J’ai particulièrement aimé ajouter de nombreuses petites scènes et détails sur les tuiles.

paru dans PhiliMag nᵒ 37 (septembre 2023)


Bonjour, pourriez-vous vous présenter ?

Lukas et Michael (auteurs) : Venant de deux zones différentes de l’Allemagne (Lukas du Nord et Michael du Sud), nous nous sommes rencontrés par pure coïncidence (ou peut-être par chance ?) il y a plus de 20 ans. Lukas, en voulant savoir comment un jeu de société était réellement conçu, a décidé d’en choisir un au hasard dans sa ludothèque puis a écrit à son auteur. C’est ainsi que Michael a reçu une lettre de Lukas dans son magasin de jeux et de bandes dessinées Seetroll, situé au bord du lac de Constance. Nous nous sommes dès lors rencontrés et avons imaginé plusieurs idées pour des jeux. De cela est né notre premier jeu de société ensemble : Die Kutschfahrt zur Teufelsburg (2006). Le jeu a reçu le prix du Jeu de Cartes de l’année en Italie. Depuis, nous avons développé de nombreux autres jeux de société ensemble et travaillons par video call chaque semaine. Nous testons ensuite nos jeux ensemble en ligne et également dans nos groupes de test, respectivement situés dans le Nord et le Sud de l’Allemagne. Nous avons créé non seulement des jeux comme The Dwarves (2012), BANG! – Le Jeu de Dés (2014) ou les UNDO (2019 – 2020), mais aussi et surtout une amitié entre 2 auteurs de jeux qui vivent à plus de 800 kms l'un de l'autre. Nous espérons que les joueurs seront ravis de notre dernière création : Dorfromantik, le jeu de société.

Klaus Ottmaier (responsable d'édition chez Pegasus Spiele) : Je travaille chez Pegasus Spiele en tant qu'éditeur depuis 2012 et je suis maintenant responsable du département éditorial. Je me concentre sur la coordination de l'équipe et la communication avec notre direction de production. N'ayant plus le temps d'éditer moi-même des jeux, Dorfromantik, le jeu de société est un titre très spécial pour moi car j'ai pu l’éditer directement. J’avais déjà travaillé par le passé avec Michael et Lukas mais ce fut ma première collaboration avec Toukana Interactive. Cela a élargi considérablement notre équipe et fut une expérience intéressante et enrichissante.

Toukana Interactive (studio de jeux vidéo avec Luca Langenberg, Sandro Heuberger, Timo Falcke et Zwi Zausch) : Le jeu vidéo Dorfromantik a été créé dans le cadre du master en Game Design à l'Université des Sciences Appliquées de Berlin. Nous avions déjà eu l'idée de lancer notre studio indépendant Toukana Interactive pour nous établir dans l'industrie du jeu vidéo avec des jeux minimalistes et accessibles. Par coïncidence, le nouveau programme de Master venait juste d'être introduit à ce moment-là, ce qui nous a fourni la base idéale pour nous concentrer pleinement sur notre premier projet. L'idée de base était de développer un petit jeu de pose de tuiles relaxant et créatif qui permettrait aux joueurs d’imaginer leur propre paysage idyllique et de s’y évader.

Acte 1 : de l'idée au prototype

Lukas Zach : J'ai remarqué le jeu vidéo Dorfromantik parce qu'il a été nominé pour le German Computer Games Award aux côtés de Iron Harvest de KING Art (pour qui je travaille). Cela a attisé ma curiosité et j'ai donc jeté un coup d'œil au jeu. C'est alors que j'ai remarqué qu’il ressemblait déjà beaucoup à un jeu de société. De plus, Michael et moi développions un jeu hexadécimal sur le thème des mers du Sud depuis plusieurs années et le principe était assez similaire. Nous avons donc demandé à Andreas Finkernagel, l'un des PDG de Pegasus Spiele, de prendre contact avec Toukana Interactive. Avant même d'avoir un retour du studio, nous avons travaillé sans relâche sur l'optimisation de notre concept de jeu de société déjà existant, puis sur son premier prototype numérique. Nous voulions pouvoir directement jouer au jeu avec Toukana Interactive pour les convaincre. Et heureusement, cette stratégie a marché ! Toukana Interactive a pu retrouver l'ambiance de Dorfromantik dans notre premier prototype. Grâce à des tests réguliers puis à une première rencontre en réel au SPIEL à Essen, une coopération amicale a été établie avec le studio et elle continuera probablement de porter ses fruits à l'avenir.

Acte 2 : du prototype à l’édition

Michael Palm : Une fois le partenariat avec Toukana Interactive conclu, Lukas et moi avons continué à travailler intensivement sur le prototype. Principalement en numérique, à cause du confinement. Nous avons eu de la chance, car Dorfromantik, le jeu de société se prêtait particulièrement bien au travail à distance. Nous avions des réunions avec Toukana Interactive, pratiquement toutes les deux semaines, pour leur montrer la dernière version et la tester ensemble.

Klaus Ottmaier : Dès le départ, l'idée principale était claire : un jeu coopératif de pose de tuiles dans lequel de nouveaux éléments allaient être débloqués au fil des parties. Le défi était d’établir comment ces éléments devaient entrer en jeu et aussi à quel moment. Pour éviter que tous ces éléments ne soient déjà dans le jeu dès le début – cela aurait été trop compliqué pour des joueurs occasionnels – l'idée est venue de cacher du matériel dans des petites boîtes. D'une part, les premières parties sont facilités car elles n’ont que quelques règles spéciales, mais d'autre part, cela donne aussi l’envie aux gens de continuer à jouer afin de découvrir ce que contiennent les boîtes. Notre tâche principale était alors de définir les étapes sur la feuille de campagne afin que les joueurs occasionnels ne débloquent pas de nouveaux contenus trop rapidement, mais que les joueurs expérimentés aient quand même du challenge régulièrement. Il était également important qu'un trop grand nombre de récompenses ne puisse pas être déverrouillé à la fois. L'objectif était que tant les joueurs occasionnels que ceux expérimentés puissent débloquer, si possible, un nouvel élément après chaque partie.

Initialement, Dorfromantik est un jeu vidéo. Pouvez-vous nous parler des contraintes et des spécificités liées à l’adaptation de ce jeu vidéo en jeu de société ?

Michael Palm : Bien sûr, on voyait clairement dans le jeu vidéo Dorfromantik une filiation avec le jeu de société. Cependant l’adapter réellement a demandé bien plus de modifications et d’idées nouvelles qu’on n’aurait pu le croire au départ. L'intelligence de l'ordinateur peut, par exemple, changer graphiquement les tuiles lors du placement, compter automatiquement le nombre d'arbres dans une forêt, et bien plus encore. Le défi ici était d'en faire un jeu de société qui nécessite peu de gestion pendant la partie et où le score n’est décompté qu’en fin de partie.

Toukana Interactive : Dans cette adaptation, nous jugions particulièrement important de conserver l'atmosphère détendue et créative du jeu vidéo ainsi que son beau design. Mais nous voulions également créer de nouveaux défis et opportunités pour les joueurs.

Racontez-nous une anecdote marquante qui vous est arrivée durant le développement du jeu

Klaus Ottmaier : J’ai été particulièrement surpris de l’engouement suscité par ce jeu de société durant les tests. Personne, vraiment personne, ne voulait stopper le test après une, deux ou trois parties. Les gens continuaient de jouer ! Je me souviens que lors d’un test sur le toit-terrasse de Pegasus Spiele, de plus en plus de curieux nous ont rejoints. Au cours du test, le groupe a même grossi jusqu’à atteindre huit joueurs et nous avons ainsi joué plusieurs parties dans cette composition. Déjà à ce moment-là c’était un signe indubitable que nous avions un jeu spécial entre les mains...

paru dans PhiliMag nᵒ 37 (septembre 2023)


Bonjour Yoann, qui êtes-vous et quel est votre ludographie ?

Bonjour, mon vrai métier est commerçant, je possède une boutique de vente et réparation d’ordinateurs depuis 25 ans que je gère avec ma femme Céline. Depuis 2012, je m'essaye à la création de jeux de société et j'ai eu la chance d'avoir mon premier jeu Myrmes récompensé par un As d'Or et un Tric Trac d'Or. Depuis j'ai sorti une dizaine de jeux, du petit jeu de logique au gros jeu de gestion en passant par les jeux de déduction que j'adore.

Comment créez-vous des jeux ? Parlez-nous de votre processus de création.

Tout commence avec une idée simple. Parfois c'est une envie de matériel, de thème, ou de mécanique, et je commence souvent par me noter des idées dans un petit carnet. La chose étrange est que je ne relis jamais ces carnets, mais cela me permet de formaliser ce que j'ai en tête. Et c'est souvent le premier filtre à ma création, une idée qui s'énonce mal est souvent une mauvaise idée. Il peut m'arriver de ruminer des choses pendant des mois voire des années avant d'en arriver à l'étape de création d'un prototype. De ce côté là, je suis très équipé puisque je possède des imprimantes 3D et une découpeuse laser, je ne m'interdit donc rien en tant que matériel et je prends souvent un grand plaisir dans cette étape de la création. Mais ce n'est que le début et il faut alors que le prototype passe les tests des vraies parties. Je n'hésite pas à faire de grosses modifs à mes jeux et il m'est même arrivé très souvent de jeter des jeux en me disant que le potentiel n'était pas assez gros. Il m'arrive également de laisser des jeux de côté pendant plusieurs mois. Je jongle alors d'un prototype à un autre, je travaille souvent en parallèle sur 4 ou 5 jeux.

Pouvez-vous nous parler de votre actualité ludique ?

Cette année (2023), j'ai de nombreux projets qui se concrétisent. Un jeu de gestion, Humanity, qui va sortir chez Bombyx en octobre qui est l'aboutissement de nombreuses années de travail. Dans ce jeu, les joueurs vont incarner des entreprises privées qui vont mener des missions scientifiques sur Titan, la plus grosse lune de Saturne, pour peut-être un jour pouvoir y déplacer l'humanité. Ce n'est pas un jeu de science fiction mais bien une œuvre d'anticipation car tout a été étudié pour coller à la réalité. Nous avons énormément travaillé l'univers du jeu et le livret de règles fait une cinquantaine de pages. Le joueur y trouvera des narrations du quotidien des astronautes sur Titan. J'ai de nombreux jeux de logique solo qui vont sortir chez différents éditeurs, notamment chez Bankiiiz et Djeco. Je suis fan de ce genre de jeu et depuis quelques années je prends plaisir à en créer. Chez Bankiiiz vous trouverez la suite de la gamme logic (Birds et Hotel) avec Candies et Jungle. Et chez Djeco, je sors pas moins de 6 jeux cette année, tous dans des genres et matériels très différents. J’ai également les petits Puzzlegends qui sont sortis chez Blue Orange.

Pour finir, en septembre, sort ArcheOlogic chez Ludonaute, un jeu de déduction au matériel incroyable. En utilisant un appareil ancestral, l'Archéoscope, vous allez devoir cartographier une cité. Vous allez devoir repositionner des polyominos sur un quadrillage en interrogeant cet Archéoscope. Après Turing Machine dont j'avais été l'instigateur des plaquettes perforées, j'explore à nouveau le concept de matériel original qui répond aux joueurs de façon complexe. Mais on est ici dans un jeu bien plus familial. Amateurs de jeux de déduction et de polyominos, ce jeu est pour vous !

Racontez-nous une anecdote marquante qui vous est arrivée durant le développement du jeu ArcheOlogic.

Au moment où j'ai montré le jeu à Ludonaute, c'était un jeu de déduction « classique ». En effet, on interrogeait les autres joueurs pour obtenir des indices sur le plan que l'on recherchait. Les défauts de ce type de jeu nous avaient alors sauté aux yeux. L'erreur de réponse d'un joueur pouvait anéantir la partie d'un autre joueur et comme chaque joueur avait son propre plan à découvrir, la sensation de course était moins présente. Cédric (le boss de Ludonaute) m'a alors demandé s'il n'était pas possible de créer un appareil qui donnait les indices aux joueurs en me parlant de la série His Dark Material (À la Croisée des mondes) et de son appareil l’Aléthiomètre. Bien sûr cela m’a complètement enthousiasmé et mon expérience Turing Machine m’a permis d’arriver très rapidement à ce qu’est l'Archéoscope aujourd’hui. C’est très étonnant mais bien que le jeu soit plus familial, les algorithmes derrière la réalisation de cet Archéoscope sont beaucoup plus complexes que ceux de Turing Machine.

paru dans PhiliMag nᵒ 36 (juillet 2023)


Bonjour Pierô, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours dans le secteur du jeu de société ?

Hello, alors, je suis Pierô, je dessine depuis plus ou moins toujours. Ma mère, qui trouvait ça plutôt cool, m’a inscrit aux cours du soir des beaux-arts d’Avignon quand j’avais 8 ans. À la même époque, je découvre les BDs de Marcel Gotlib... À 13 ans, je vais à ma première séance de dédicaces (Arthur Qwack) et ça confirme que je veux faire de la BD, mais aussi que je veux dédicacer. Entre mes 20 ans et mes 30 ans, j'enchaîne les petits boulots alimentaires tout en continuant à monter des projets BDs. Entre temps, j’étais retombé dans le jeu de société et une rencontre avec Bruno Cathala me propulse illustrateur de jeux de société. Le premier jeu est Mr. Jack. Sa sortie à Essen en 2006 me permet de faire des dédicaces et de rencontrer plein de monde. Depuis... j’ai jamais arrêté d’illustrer des jeux et de les dédicacer dès que l’occasion se présente. J’ai illustré plus de 60 jeux en 18 ans de carrière. Mes jeux les plus connus restent Mr. Jack de Bruno Cathala et Ludovic Maublanc avec qui j’ai aussi fait Dice Town. Puis j’ai illustré le Ghost Stories d’Antoine Bauza et le River Dragon de Roberto Fraga. J’ai aussi eu la chance de réaliser Dixit Odyssey avec Marie Cardouat et d’illustrer un jeu chez Mattel qui gagnera le Kinderspiel : Geister Geister Schatzsuchmeister. Plus récemment, je suis aussi éditeur de jeux chez KYF édition en plus de mon métier d'illustrateur indé.

Pouvez-vous nous parler de votre rôle et de votre expérience en tant qu’illustrateur sur le jeu Bahamas : Braquage de haut vol ?

Alors, déjà, je dois l’avouer, je me suis un peu imposé pour illustrer Bahamas. Nico Normandon, l’auteur du jeu est un ami... Genre, un vrai ami. Lors d’un Essen, j’ai l’occaz de jouer à un proto qu’il a avec lui et je tombe amoureux du jeu. Il fallait que ça soit moi qui le fasse. C’est passé auprès de l’éditeur. Comme c’était un projet presque « familial », on voulait y mettre que des gens qu’on aimait ou qui avaient un lien de près ou de loin avec nous ou le jeu au travers des personnages du jeu. Ce qui a, d’ailleurs, posé un soucis au final car les personnes concernées étaient toutes des personnes de type caucasien. Il a fallu que je m’éloigne un peu de notre volonté de départ qui n’était pas très réfléchie. Après, pour le reste du jeu, j’ai essayé de me faire le plus plaisir possible. Outre le fait que j’aimais le jeu et son auteur, j’ai aussi été un adepte de la chute libre... Je mélangeais beaucoup de choses que j’aimais fort et c’était une belle occasion que d’illustrer un tel jeu. Avec Nico, on voulait un jeu coloré et fun. On voulait rendre hommage au film « Point Break » bien sûr mais sans que ça se voit de trop. Un petit regret en revanche. J’ai passé un temps fou à travailler une iconographie pour éviter les textes et simplifier l’export du jeu et finalement, je sais pas trop pourquoi ça a été abandonné. J’aimais bien mes icônes. L'illustration de la boîte du jeu reste une de mes illustrations préférées. Je me suis fait plus que plaisir. Les personnages représentés font partie des gens que j'aime le plus au monde et puis elle me donne furieusement envie de retourner sauter d'un avion... Avec un parachute hein ?

paru dans PhiliMag nᵒ 36 (juillet 2023)


Bonjour Nicolas, qui êtes-vous et quel est votre ludographie ?

Bonjour Philimag ! Alors dans le civil, je suis directeur de contenu chez Ubi Soft depuis plus de 20 ans. Et à côté de cette activité principale, j’ai sorti quelques jeux au fil des années. Le premier est Zombies : la blonde, la brute et le truand. Suivi de City of Horror, Marcy Case (un scénario de Time Stories) puis Bahamas et dernièrement Lockdown. Bon je ne fais pas que des jeux méchants avec des zombies dedans hein, il y a eu aussi Octorage, TV Show et Whaaat ?. Et comme je trouvais que j’avais encore un peu trop de temps libre, en 2018, avec Gwen, Ericka et Pierô, nous avons fondé KYF Edition, une boîte d’édition de jeux où je m’occupe du développement. Nos plus gros succès sont notamment Fou Fou Fou ! ou Tracks.

Bahamas – Acte 1 : de l'idée au prototype

Au départ, avant que ça devienne Bahamas, j’avais très envie de faire une vraie suite à City of Horror. City of Horror est une version survitaminée de Zombies, avec beaucoup de matériel, tout en 3D. Mais là je voulais une suite super minimaliste, avec la même saveur méchante et très peu de matériel, qu’on peut emporter et jouer partout. L’idée de base est super simple et efficace : les joueurs et joueuses sont coincés sur un bateau après une attaque de zombies et se battent pour des antidotes. À la mise en place de la partie, on a toujours un antidote de moins que de personnes autour de la table. Donc, pour survivre, il faut voler les autres, faire des alliances et surtout trahir. Le cœur du gameplay est arrivé assez vite : à chaque tour vous ne choisissez pas l’action que vous voulez faire, mais c’est une autre personne qui choisit pour vous. J’ai eu envie d’utiliser des dés pour symboliser les actions disponibles. Et bien sûr, pas assez de dés pour tout le monde. Côté gameplay, un mot clef a dirigé toute la conception du jeu : « injustice ». Au final, les idées se sont rapidement emboîtées et en quelques semaines j’ai pu fabriquer un prototype jouable. Rien n’était vraiment réglé, mais le jeu était là, très bancal certes, mais déjà très méchant.

Bahamas – Acte 2 : du prototype à l’édition

Les premières parties sur ce prototype offrent un super feeling, exactement celui que je recherchais. Mais pas mal de petits trucs ne fonctionnent pas très bien. Notamment le système d’action qui s’avère assez laborieux à jouer. Pour corriger ça, j’ai l’idée d’un système de draft assez particulier. À chaque tour, les dés sont lancés. Une personne en choisit un et fait l’action correspondante. Puis elle choisit la prochaine personne qui va devoir choisir un dé. Et ainsi de suite. Et là bingo, tout marche parfaitement. Les tours sont rapides et méchants. On négocie pour pouvoir choisir un dé, on râle de n’avoir aucun choix intéressant. Le jeu est là ! En octobre 2015, je pars à Essen pour la grande messe du jeu en Allemagne. Et pour une fois, j’ai un prototype à emmener dans ma valise. Le soir à l’hôtel, on enchaîne les parties avec les potes. Les parties sont très chouettes : ça râle, ça couine, ça trahit ! Parfait ! C’est tout ce que j’aime ! Mais bon, il faut bien bosser un peu aussi et j’ai pris trois rendez-vous pour montrer le jeu. Matagot se montre très vite intéressé. Et quelques semaines plus tard, un contrat est signé. Tout s’est passé très rapidement.

Bahamas – Acte 3 : de l’édition à la boutique

Le travail de développement sur le jeu a été beaucoup plus long. Il aura fallu presque 3 ans pour arriver à la version finale du jeu. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec Joseph Foussat (chef de projet chez Matagot à l’époque) sur les pouvoirs des personnages et les mécaniques. Il a notamment eu l’idée d’ajouter une autre condition de victoire avec la présence d’un flic infiltré parmi les joueurs, mais sans utiliser de rôle caché. Superbe idée qui a beaucoup dynamisé le jeu. Par contre le thème, même s’il m’amuse beaucoup, ne fonctionne pas très bien. Un jeu de zombies sans zombies c’est assez particulier. Pierô, qui illustre le jeu, grâce à son expérience de parachutiste et son amour pour le film Point Break, a l’idée de braqueurs qui s’enfuient en avion avec le butin. Mais l’avion tombe en panne et il n’y a pas assez de parachutes pour tout le monde. L’idée fonctionne très bien et emballe tout le monde. Pierô va même encore plus loin et dessine tous les personnages du jeu avec nos traits et ceux de nos proches. Tellement classe ! Dernier détail et pas des moindres avant la sortie du jeu : le titre ! J’ai toujours été très mauvais pour trouver des bons titres de jeu. Et là, un grand merci à Antoine Bauza qui a trouvé ce titre qui marche tellement bien.

Racontez-nous une anecdote marquante qui vous est arrivée durant le développement du jeu.

Un des moments qui m’a le plus marqué c’est pendant le Festival International des Jeux de Cannes, juste après la sortie du jeu. Nous avons organisé une partie sur le stand Matagot ! Mais attention c’était une partie un peu spéciale. En effet autour de la table nous avions des invités spéciaux : les vrais personnages du jeu, ceux qui ont inspiré les illustrations. Et nous avons tous joué notre propre rôle. C’était un moment super agréable, même si bien sûr on s’est engueulés et trahis et que c’est encore Gwen qui a gagné avec 3 parachutes et beaucoup trop d’argent... comme d’habitude quoi !

paru dans PhiliMag nᵒ 36 (juillet 2023)


Bonjour Philippe, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Bonjour, je suis Philippe Nouhra, j’ai 50 ans et je suis le gérant fondateur, le Directeur Créatif et le Directeur Artistique de Funforge. J’ai grandi durant les années 80, dans une époque ultra créative et passionnante du jeu qui a eu une influence profonde sur mes choix de vie. Ma première carrière a débuté dans le jeu vidéo au début des années 90. J’y ai officié comme artiste 3D, Directeur Artistique, scénariste, game-designer et chef de projet. J’ai fini par revenir à mes premières amours pour créer Funforge en août 2008.

Dans quel contexte la maison d’édition Funforge a-t-elle été créée ? Quels étaient vos objectifs ?

J’ai travaillé une quinzaine d’années en tant que salarié et freelance avant Funforge. L’envie de liberté créative a été la plus forte et l’entreprenariat s’est alors imposé comme une évidence. Après avoir furtivement envisagé la création d’un studio de jeux vidéo, je me suis tourné vers la création d’une maison d’édition de jeux de société et j’ai fondé Funforge en éditant notre premier jeu : Illusio (dont je suis également l’auteur). Dans le même temps, j’ai toujours eu conscience de la nécessité du marché international pour pouvoir nous développer le plus rapidement possible. À Essen, en 2008, nous avons rencontré le maximum de distributeurs étrangers auprès de qui placer notre jeu. Cela nous a permis de rencontrer la plupart des gens avec qui nous travaillons encore aujourd’hui et avec lesquels nous avons toujours eu à cœur d’entretenir de vraies relations humaines. Funforge, c’est aujourd’hui une équipe de 8 passionnés qui cravachent comme des fous pour vous offrir les meilleurs jeux possibles. Nos envies ont ainsi toujours collé à nos objectifs : faire réussir nos jeux pour nous permettre de, sans cesse, continuer à créer et éditer de nouveaux projets.

Quel est votre ligne éditoriale ? Avez-vous une spécificité ?

Notre ligne éditoriale est très ouverte. Nous nous autorisons à éditer n’importe quel type de jeu tant que nous pensons qu’il est bon et qu’il a du potentiel. Nous avons néanmoins tendance à privilégier les jeux à thème et plutôt immersifs. Notre ligne éditoriale est avant tout le fruit d’un certain travail de cohérence entre le fond du jeu et sa forme. J’ai à cœur de faire résonner les deux pour que nos jeux soient des évidences, nous tentons de ne rien laisser au hasard dans cette démarche. Nous sommes connus principalement au travers de Tokaido ce qui nous a donné une image d’éditeur familial mais nous développons d’autres gammes plus « expertes » (telles que Monumental) ainsi que beaucoup de jeux à deux (auxquels je crois très fermement). Nous envisageons également d’ouvrir une gamme de jeux enfants mais rien n’est encore fait. En bref, encore une fois, tout est très ouvert à partir du moment où le projet initial doit pouvoir devenir un excellent jeu, visuellement et matériellement attirant, au gameplay et au thème immersifs et à vrai potentiel commercial international.

Pouvez-vous nous parler de vos jeux à venir ?

Nous continuons d’importer des jeux étrangers (The Binding of Isaac, Vampire Chapters, etc.) et étoffons notre catalogue de créations originales. Nous allons sortir un jeu pour deux très malin de Bruno Cathala du nom de Donuts. Derrière son thème pop et gourmand se cache un jeu retors et magnifiquement épuré d’un des auteurs les plus habiles du genre. Nous éditons le premier jeu d’un nouvel auteur, Antoine Prono : Runemasters. C’est un Tower Defense coopératif utilisant une très astucieuse mécanique de dés mettant les joueurs en face de choix cornéliens à chaque tour. Nous allons également sortir l’adaptation en jeu de société de Far Cry d’Ubisoft (dont nous possédons la licence). Il s’agit d’un gros jeu de tactique à scénarios. Toute la gamme Monumental va faire son entrée en boutiques (dans sa version classique – sans figurines) et va marquer le début d’une ligne dédiée pour laquelle nous travaillons sur d’enthousiasmants futurs projets. Cette année marque également les 10 ans de la sortie de Tokaido et nous allons célébrer cet événement comme il se doit ! Nous allons aussi reprendre nos sorties digitales avec des adaptations et des extensions sur plateformes mobiles. Pour finir, nous travaillons déjà à nos sorties 2024 et ces projets nous excitent beaucoup !

paru dans PhiliMag nᵒ 35 (juin 2023)


Bonjour William, qui êtes-vous et quel est votre ludographie ?

Je m’appelle William Liévin, j’ai 39 tours au compteur, une coéquipière et 2 petites meeples de 13 et 10 ans. Nimalia est mon premier jeu édité. J’ai toujours baigné dans la marmite de la création ludique, mais c’est lors d'une partie de Fief en 2001 que j’ai réellement basculé dans le jeu de société moderne. Depuis, j’ai rejoint la LEAF (Ligue Extraordinaire des Auteurs Franciliens) et avec mes collègues auteurs, nous écumons les festivals de France pour infliger aux joueurs nos créations ludiques.

Bonjour Benoit, pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour le Philimag. Je suis Benoit Bannier, directeur et co-fondateur du studio d’édition La Boîte de Jeu (LBDJ) depuis 2013. J’ai 36 ans, et j’ai plus ou moins toujours trempé dans les jeux. Mais c’est vrai que mes années Magic : The Gathering et Race for the Galaxy avec Benjamin Carayon (avec qui j’ai, entre autres, cofondé LBDJ) ont probablement été significatives dans ma construction ludique. Désormais, La Boîte de Jeu c’est 6 personnes qui s’attèlent à vous proposer des jeux qu’on espère que vous adorerez autant que nous... Comme par exemple : Nimalia !

Pouvez-vous nous parler des intervenants impliqués sur le jeu Nimalia ?

Benoît : Nimalia est un projet de longue date sur lequel LBDJ a tout de suite accroché ! Je me rappelle de mes premiers tests à Paris Est Ludique sur les petites cartes en carton coupées à la main. La relation de travail avec son auteur, Will, a été (et est toujours) très plaisante : faire évoluer son bébé « Nimo » vers la sortie boutique de Nimalia a comporté son lot de choix et d’équilibrages fastidieux. Et c’est toujours plaisant de travailler dans de bonnes conditions lorsque de telles concessions sont nécessaires. Quant au travail artistique réalisé par Pauline Détraz, eh bien... Nous n’en étions pas à notre première collaboration : 10’ to kill (2ème jeu signé Benoit Bannier), Grumpf (de Pierre Compain), Au Creux de ta Main (de Timothée Decroix) ou encore la couverture de la boîte « Legends » de It’s a Wonderful Kingdom (de Frédéric Guérard)... Tout ça avait déjà été géré sous le pinceau de Pauline. Et que ce soit dans le style, ou dans le relationnel : c’est toujours un plaisir ! Les testeurs ont été divers et nombreux au cours des différentes phases de développement du jeu. Mais je peux notamment citer Mr Zombi et les Avenjoueurs, qui avait adoré le proto à l’époque et qui se languissait de la sortie boutique du jeu définitif. Du côté interne de La Boîte de Jeu, en plus de moi-même au développement, ça a été aussi l’occasion pour Jeanne de faire ses premières armes sur des finalisations de fichiers avant l’envoi en production du projet. Et je crois que, comme nous, elle est ravie du résultat, et de découvrir un tel accueil public et critique pour ce jeu.

Nimalia – Acte 1 : de l'idée au prototype

William : L’idée de Nimalia est née fin 2018. Je cherchais une idée de jeu familial au matériel réduit qui puisse offrir une belle rejouabilité grâce à des objectifs à scoring modulables. Dans la toute première version de Nimalia, la réserve du joueur n’était pas limitée en taille et il y avait même des cartes avec des routes ! Fort heureusement, peu de personnes ont eu à subir ce premier jet, mes camarades de la LEAF, Alain, Mathieu et François, m’ont aidé à simplifier et fluidifier l'expérience de jeu. Remerciez-les à l’occasion : si Nimalia n’a pas d’autoroutes, c’est un peu grâce à eux ! Pour comprendre le côté exceptionnel de notre relation avec La Boîte de Jeu, il faut ici expliquer aux lecteurs du PhiliMag la façon « habituelle » de signer un contrat d’édition. Je caricature un peu, mais à moins d’être un auteur de jeux réputé, vous avez toutes les chances de passer par là. D’abord, vous identifiez les éditeurs dont la ligne éditoriale correspond à votre proto. Ensuite, armé de votre pitch et de votre force de persuasion, vous proposez des rendez-vous aux éditeurs potentiellement intéressés. Le rendez-vous est calé ? Fantastique ! Maintenant, vous avez 30 minutes pour convaincre, et espérer que la partie de démo se passe bien afin que l’éditeur reparte avec le proto dans sa mallette. Là, en règle générale, votre proto arrive dans ce que j’appelle les « limbes ludiques » : pendant quelques mois, l’éditeur va faire tester votre proto à son équipe, à son cercle de joueurs et éventuellement à son distributeur. Enfin, le verdict tombe et vous êtes appelé au Paradis de l’édition, ou à défaut vous devez remettre votre proto sur le métier. La signature d’un contrat est donc un processus souvent long et incertain, tant il est vrai que les éditeurs reçoivent aujourd’hui des dizaines (centaines ?) de protos par an.

Nimalia – Acte 2 : du prototype à l’édition

William : Avec la Boîte de jeu, ça s'est passé... un peu différemment ! Quand j’ai contacté La Boîte de Jeu avec ma vidéo de présentation de Nimalia, nous étions à quelques jours seulement du festival « Paris est Ludique ». J’ai proposé Nimalia à Benoit, sachant que le jeu était probablement un peu « léger » par rapport à leurs best-sellers du moment (Outlive, Huns). Coup de chance, Benoît est un fan de jeux de tuiles et de jeux d’animaux, et le rendez-vous est pris au festival. La partie de démo se passe bien, Benoit a l’air emballé et repart avec le proto sous le coude. Là, je m’attendais à ce que Nimalia erre quelques mois dans les limbes avant d’avoir une réponse. Il n’en fut rien : Benoit m’envoie un message dans l’après-midi : « On enchaîne les parties de Nimalia avec Blackrock, notre distributeur ». À peine 2 jours plus tard, le contrat était signé et ce fut le début d’une belle aventure d’édition.

Benoit : Il faut ajouter que Will a toujours été très efficace et consciencieux dans son travail d’auteur. C’est le seul qui m’ait jamais fait de « compte-rendu » des réunions de travail que nous avions. Et c’était très agréable pour suivre les avancées et ne pas perdre de temps. Ce qui a été, presque, le plus compliqué, ça a été de passer le jeu d’un proto à un jeu illustré. La spécificité mécanique de Nimalia a eu besoin de trouver des visuels qui soient à la fois jolis et fonctionnels en jeu. Pauline a fait un travail formidable pour cela... deux fois. En effet, nous avons changé notre fusil d’épaule sur l’échelle de taille des visuels après qu’elle avait fini tout le jeu une première fois et il a donc fallu recommencer. C’est aussi ça, les aléas de l’édition.

Nimalia – Acte 3 : de l’édition à la sortie en boutique

Benoit : Comme expliqué plus haut par l’auteur, chez notre distributeur, Blackrock Games, on aimait aussi beaucoup Nimalia. Tout le monde attendait donc la sortie avec impatience. Mais l’enjeu pour la sortie d’un jeu, c’est toujours de savoir en parler, afin que le public apprenne l’existence du jeu d’une part, mais ait envie de le découvrir autour d’une partie d’autre part... La communication autour d’un titre, au milieu d’un marché du jeu bien fourni, ce n’est pas toujours simple. Il se trouve que son format « petite boite », ses illustrations assez mignonnes avec de jolis animaux et son petit prix ont assez vite rendu le jeu attirant !

C’est notamment au Festival International des Jeux de Cannes de 2023 que Nimalia a commencé à vraiment faire parler de lui. Le jeu était présenté sur le stand de La Boîte de Jeu, et les tables ne désemplissaient pas. Certaines personnes nous expliquaient qu’elles avaient été envoyées ici par des amis, car il fallait absolument tester ce jeu. Du côté « pro », Nimalia a été présenté à de nombreux acteurs de la Presse, des Cafés Jeux, et tout un tas d’acteurs de la vente du jeu de société, dont un nombre colossal de boutiques... On a très vite senti qu’il se passait quelque chose avec ce jeu : les retours étaient très bons, et expliquer les règles à tous ces gens était toujours super fluide et agréable. Toute l’équipe attendait donc la sortie avec impatience, se demandant si les impressions des critiques et du public se confirmeraient. Pour évaluer le succès d’un jeu, dans le marché concurrentiel actuel, l’implantation (c'est-à-dire le nombre de boîtes vendues la première semaine) est une donnée clef. Il est en effet, extrêmement difficile de « re-lancer » un jeu dont la première semaine a été en demi-teinte, une nouveauté en chassant une autre. Pour Nimalia, tout s’est bien passé, c’est probablement notre meilleur lancement ! Merci encore à tout le monde. Et... pourvu que ça dure !

Quelles ont été vos sources d’inspiration pour la direction artistique du jeu ?

Benoit : Les premières ébauches graphiques du jeu étaient, certes très choupies, mais renvoyaient également une image un peu trop enfantine du jeu. Bien que très accessible dans ses règles et sa mécanique, il ne faut pas s’y méprendre : Nimalia est bel et bien un jeu un peu casse-tête qui fait chauffer même le plus aguerri des cerveaux. C’est d’ailleurs pour nous une de ses forces : son incroyable capacité à fédérer des joueurs experts avec d’autres plus néophytes, et leur permettre de jouer ensemble en prenant tous du plaisir.

Il a donc fallu travailler avec Pauline Détraz sur une ambiance accueillante et chaleureuse, une thématique légère, mais sans être enfantine. De plus, la lecture et la lisibilité des éléments du jeu sont immensément dépendants du travail artistique sur les illustrations : il faut qu’on soit capable de reconnaître les animaux d'un coup d’œil peu importe le sens de lecture (vu qu’on passe un temps non négligeable à tourner nos cartes dans tous les sens dans ce jeu), sans les confondre, et qu’on puisse discerner les biomes entre eux au premier coup d'œil, peu importe par quelle espèce ils sont peuplés.

La tâche n’a pas été si aisée comme je le disais précédemment. Nous avons fait deux jeux d’illustrations complètes avant de nous arrêter sur celles du jeu actuel. Mais nous sommes très satisfaits du résultat des illustrations réalisées par Pauline, et de la direction artistique finalisée par Jeanne.

Racontez-nous une anecdote marquante qui vous est arrivée durant le développement du jeu.

William : Le moment où j’ai réalisé que Nimalia avait du potentiel, ce fut lors du « off » du Festival International du Jeu de Cannes en 2019. J’avais prévu de faire tester Nimalia le premier soir, et un autre proto le deuxième soir. La démo de Nimalia s’est bien passée et les retours des joueurs étaient encourageants. Le deuxième soir, je faisais tourner mon autre proto quand un groupe de joueurs du premier soir est revenu à ma table. Voyant que Nimalia n’était pas présent, ils m’ont demandé à l’emprunter et l’ont fait tourner eux-mêmes à une autre table, l’un d’eux prenant même le temps d’en expliquer la règle à d’autres. Je ne l'apprendrai que bien plus tard, mais la personne qui avait pris mon relais ce soir-là n'était autre que Sébastien, qui forme avec Simon le célèbre duo ludique de la boutique du Passe Temps à Toulouse. On peut tomber plus mal comme soutien de la première heure !