paru dans PhiliMag nᵒ 35 (juin 2023)
Bonjour William, qui êtes-vous et quel est votre ludographie ?
Je m’appelle William Liévin, j’ai 39 tours au compteur, une coéquipière et 2 petites meeples de 13 et 10 ans. Nimalia est mon premier jeu édité. J’ai toujours baigné dans la marmite de la création ludique, mais c’est lors d'une partie de Fief en 2001 que j’ai
réellement basculé dans le jeu de société moderne. Depuis, j’ai rejoint la LEAF (Ligue Extraordinaire des Auteurs Franciliens) et avec mes collègues auteurs, nous écumons les festivals de France pour infliger aux joueurs nos créations ludiques.
Bonjour Benoit, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour le Philimag. Je suis Benoit Bannier, directeur et co-fondateur du studio d’édition La Boîte de Jeu (LBDJ) depuis 2013. J’ai 36 ans, et j’ai plus ou moins toujours trempé dans les jeux. Mais c’est vrai que mes années Magic : The Gathering et Race for the Galaxy avec Benjamin Carayon (avec qui j’ai, entre autres, cofondé LBDJ) ont probablement été significatives dans ma construction ludique. Désormais, La Boîte de Jeu c’est 6 personnes qui s’attèlent à vous proposer des jeux qu’on espère que vous adorerez autant que nous... Comme par exemple : Nimalia !
Pouvez-vous nous parler des intervenants impliqués sur le jeu Nimalia ?
Benoît : Nimalia est un projet de longue date sur lequel LBDJ a tout de suite accroché ! Je me rappelle de mes premiers tests à Paris Est Ludique sur les petites cartes en carton coupées à la main. La relation de travail avec son auteur, Will, a été (et est toujours) très plaisante : faire évoluer son bébé « Nimo » vers la sortie boutique de Nimalia a comporté son lot de choix et d’équilibrages fastidieux. Et c’est toujours plaisant de travailler dans de bonnes conditions lorsque de telles concessions sont nécessaires. Quant au travail artistique réalisé par Pauline Détraz, eh bien... Nous n’en étions pas à notre première collaboration : 10’ to kill (2ème jeu signé Benoit Bannier), Grumpf (de Pierre Compain), Au Creux de ta Main (de Timothée Decroix) ou encore la couverture de la boîte « Legends » de It’s a Wonderful Kingdom (de Frédéric Guérard)... Tout ça avait déjà été géré sous le pinceau de Pauline. Et que ce soit dans le style, ou dans le relationnel : c’est toujours un plaisir ! Les testeurs ont été divers et nombreux au cours des différentes phases de développement du jeu. Mais je peux notamment citer Mr Zombi et les Avenjoueurs, qui avait adoré le proto à l’époque et qui se languissait de la sortie boutique du jeu définitif. Du côté interne de La Boîte de Jeu, en plus de moi-même au développement, ça a été aussi l’occasion pour Jeanne de faire ses premières armes sur des finalisations de fichiers avant l’envoi en production du projet. Et je crois que, comme nous, elle est ravie du résultat, et de découvrir un tel accueil public et critique pour ce jeu.
Nimalia – Acte 1 : de l'idée au prototype
William : L’idée de Nimalia est née fin 2018. Je cherchais une idée de jeu familial au matériel réduit qui puisse offrir une belle rejouabilité grâce à des objectifs à scoring modulables. Dans la toute première version de Nimalia, la réserve du joueur n’était pas limitée en taille et il y avait même des cartes avec des routes ! Fort heureusement, peu de personnes ont eu à subir ce premier jet, mes camarades de la LEAF, Alain, Mathieu et François, m’ont aidé à simplifier et fluidifier l'expérience de jeu. Remerciez-les à l’occasion : si Nimalia n’a pas d’autoroutes, c’est un peu grâce à eux ! Pour comprendre le côté exceptionnel de notre relation avec La Boîte de Jeu, il faut ici expliquer aux lecteurs du PhiliMag la façon « habituelle » de signer un contrat d’édition. Je caricature un peu, mais à moins d’être un auteur de jeux réputé, vous avez toutes les chances de passer par là. D’abord, vous identifiez les éditeurs dont la ligne éditoriale correspond à votre proto. Ensuite, armé de votre pitch et de votre force de persuasion, vous proposez des rendez-vous aux éditeurs potentiellement intéressés. Le rendez-vous est calé ? Fantastique ! Maintenant, vous avez 30 minutes pour convaincre, et espérer que la partie de démo se passe bien afin que l’éditeur reparte avec le proto dans sa mallette. Là, en règle générale, votre proto arrive dans ce que j’appelle les « limbes ludiques » : pendant quelques mois, l’éditeur va faire tester votre proto à son équipe, à son cercle de joueurs et éventuellement à son distributeur. Enfin, le verdict tombe et vous êtes appelé au Paradis de l’édition, ou à défaut vous devez remettre votre proto sur le métier. La signature d’un contrat est donc un processus souvent long et incertain, tant il est vrai que les éditeurs reçoivent aujourd’hui des dizaines (centaines ?) de protos par an.
Nimalia – Acte 2 : du prototype à l’édition
William : Avec la Boîte de jeu, ça s'est passé... un peu différemment ! Quand j’ai contacté La Boîte de Jeu avec ma vidéo de présentation de Nimalia, nous étions à quelques jours seulement du festival « Paris est Ludique ». J’ai proposé Nimalia à Benoit, sachant que le jeu était probablement un peu « léger » par rapport à leurs best-sellers du moment (Outlive, Huns). Coup de chance, Benoît est un fan de jeux de tuiles et de jeux d’animaux, et le rendez-vous est pris au festival. La partie de démo se passe bien, Benoit a l’air emballé et repart avec le proto sous le coude. Là, je m’attendais à ce que Nimalia erre quelques mois dans les limbes avant d’avoir une réponse. Il n’en fut rien : Benoit m’envoie un message dans l’après-midi : « On enchaîne les parties de Nimalia avec Blackrock, notre distributeur ». À peine 2 jours plus tard, le contrat était signé et ce fut le début d’une belle aventure d’édition.
Benoit : Il faut ajouter que Will a toujours été très efficace et consciencieux dans son travail d’auteur. C’est le seul qui m’ait jamais fait de « compte-rendu » des réunions de travail que nous avions. Et c’était très agréable pour suivre les avancées et ne pas perdre de temps. Ce qui a été, presque, le plus compliqué, ça a été de passer le jeu d’un proto à un jeu illustré. La spécificité mécanique de Nimalia a eu besoin de trouver des visuels qui soient à la fois jolis et fonctionnels en jeu. Pauline a fait un travail formidable pour cela... deux fois. En effet, nous avons changé notre fusil d’épaule sur l’échelle de taille des visuels après qu’elle avait fini tout le jeu une première fois et il a donc fallu recommencer. C’est aussi ça, les aléas de l’édition.
Nimalia – Acte 3 : de l’édition à la sortie en boutique
Benoit : Comme expliqué plus haut par l’auteur, chez notre distributeur, Blackrock Games, on aimait aussi beaucoup Nimalia. Tout le monde attendait donc la sortie avec impatience. Mais l’enjeu pour la sortie d’un jeu, c’est toujours de savoir en parler, afin que le public apprenne l’existence du jeu d’une part, mais ait envie de le découvrir autour d’une partie d’autre part... La communication autour d’un titre, au milieu d’un marché du jeu bien fourni, ce n’est pas toujours simple. Il se trouve que son format « petite boite », ses illustrations assez mignonnes avec de jolis animaux et son petit prix ont assez vite rendu le jeu attirant !
C’est notamment au Festival International des Jeux de Cannes de 2023 que Nimalia a commencé à vraiment faire parler de lui. Le jeu était présenté sur le stand de La Boîte de Jeu, et les tables ne désemplissaient pas. Certaines personnes nous expliquaient qu’elles avaient été envoyées ici par des amis, car il fallait absolument tester ce jeu. Du côté « pro », Nimalia a été présenté à de nombreux acteurs de la Presse, des Cafés Jeux, et tout un tas d’acteurs de la vente du jeu de société, dont un
nombre colossal de boutiques... On a très vite senti qu’il se passait quelque chose avec ce jeu : les retours étaient très bons, et expliquer les règles à tous ces gens était toujours super fluide et agréable. Toute l’équipe attendait donc la sortie avec
impatience, se demandant si les impressions des critiques et du public se confirmeraient. Pour évaluer le succès d’un jeu, dans le marché concurrentiel
actuel, l’implantation (c'est-à-dire le nombre de boîtes vendues la première semaine) est une donnée clef. Il est en effet, extrêmement difficile de « re-lancer » un jeu dont la première semaine a été en demi-teinte, une nouveauté en chassant une autre. Pour Nimalia, tout s’est bien passé, c’est probablement notre meilleur lancement ! Merci encore à tout le monde. Et... pourvu que ça dure !
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour la direction artistique du jeu ?
Benoit : Les premières ébauches graphiques du jeu étaient, certes très choupies, mais renvoyaient également une image un peu trop enfantine du jeu. Bien que très accessible dans ses règles et sa mécanique, il ne faut pas s’y méprendre : Nimalia est
bel et bien un jeu un peu casse-tête qui fait chauffer même le plus aguerri des cerveaux. C’est d’ailleurs pour nous une de ses forces : son incroyable capacité
à fédérer des joueurs experts avec d’autres plus néophytes, et leur permettre de jouer ensemble en prenant tous du plaisir.
Il a donc fallu travailler avec Pauline Détraz sur une ambiance accueillante et chaleureuse, une thématique légère, mais sans être enfantine. De plus, la lecture et la lisibilité des éléments du jeu sont immensément dépendants du travail artistique sur les illustrations : il faut qu’on soit capable de reconnaître les animaux d'un coup d’œil peu importe le sens de lecture (vu qu’on passe un temps non négligeable à
tourner nos cartes dans tous les sens dans ce jeu), sans les confondre, et qu’on puisse discerner les biomes entre eux au premier coup d'œil, peu importe par quelle espèce ils sont peuplés.
La tâche n’a pas été si aisée comme je le disais précédemment. Nous avons fait deux jeux d’illustrations complètes avant de nous arrêter sur celles du jeu actuel. Mais nous sommes très satisfaits du résultat des illustrations réalisées par Pauline, et
de la direction artistique finalisée par Jeanne.
Racontez-nous une anecdote marquante qui vous est arrivée durant le développement du jeu.
William : Le moment où j’ai réalisé que Nimalia avait du potentiel, ce fut lors du « off » du Festival International du Jeu de Cannes en 2019. J’avais prévu de faire tester Nimalia le premier soir, et un autre proto le deuxième soir. La démo de Nimalia s’est bien passée et les retours des joueurs étaient encourageants. Le deuxième soir, je faisais tourner mon autre proto quand un groupe de joueurs du
premier soir est revenu à ma table. Voyant que Nimalia n’était pas présent, ils m’ont demandé à l’emprunter et l’ont fait tourner eux-mêmes à une autre table, l’un d’eux prenant même le temps d’en expliquer la règle à d’autres. Je ne l'apprendrai que bien plus tard, mais la personne qui avait pris mon relais ce soir-là n'était autre que Sébastien, qui forme avec Simon le célèbre duo ludique de la boutique du Passe Temps à Toulouse. On peut tomber plus mal comme soutien de la première heure !