Bahamas : carnet d’auteur Nicolas Normandon
paru dans PhiliMag nᵒ 36 (juillet 2023)
Bonjour Nicolas, qui êtes-vous et quel est votre ludographie ?
Bonjour Philimag ! Alors dans le civil, je suis directeur de contenu chez Ubi Soft depuis plus de 20 ans. Et à côté de cette activité principale, j’ai sorti quelques jeux au fil des années. Le premier est Zombies : la blonde, la brute et le truand. Suivi de City of Horror, Marcy Case (un scénario de Time Stories) puis Bahamas et dernièrement Lockdown. Bon je ne fais pas que des jeux méchants avec des zombies dedans hein, il y a eu aussi Octorage, TV Show et Whaaat ?. Et comme je trouvais que j’avais encore un peu trop de temps libre, en 2018, avec Gwen, Ericka et Pierô, nous avons fondé KYF Edition, une boîte d’édition de jeux où je m’occupe du développement. Nos plus gros succès sont notamment Fou Fou Fou ! ou Tracks.
Bahamas – Acte 1 : de l'idée au prototype
Au départ, avant que ça devienne Bahamas, j’avais très envie de faire une vraie suite à City of Horror. City of Horror est une version survitaminée de Zombies, avec beaucoup de matériel, tout en 3D. Mais là je voulais une suite super minimaliste, avec la même saveur méchante et très peu de matériel, qu’on peut emporter et jouer partout. L’idée de base est super simple et efficace : les joueurs et joueuses sont coincés sur un bateau après une attaque de zombies et se battent pour des antidotes. À la mise en place de la partie, on a toujours un antidote de moins que de personnes autour de la table. Donc, pour survivre, il faut voler les autres, faire des alliances et surtout trahir. Le cœur du gameplay est arrivé assez vite : à chaque tour vous ne choisissez pas l’action que vous voulez faire, mais c’est une autre personne qui choisit pour vous. J’ai eu envie d’utiliser des dés pour symboliser les actions disponibles. Et bien sûr, pas assez de dés pour tout le monde. Côté gameplay, un mot clef a dirigé toute la conception du jeu : « injustice ». Au final, les idées se sont rapidement emboîtées et en quelques semaines j’ai pu fabriquer un prototype jouable. Rien n’était vraiment réglé, mais le jeu était là, très bancal certes, mais déjà très méchant.
Bahamas – Acte 2 : du prototype à l’édition
Les premières parties sur ce prototype offrent un super feeling, exactement celui que je recherchais. Mais pas mal de petits trucs ne fonctionnent pas très bien. Notamment le système d’action qui s’avère assez laborieux à jouer. Pour corriger ça, j’ai l’idée d’un système de draft assez particulier. À chaque tour, les dés sont lancés. Une personne en choisit un et fait l’action correspondante. Puis elle choisit la prochaine personne qui va devoir choisir un dé. Et ainsi de suite. Et là bingo, tout marche parfaitement. Les tours sont rapides et méchants. On négocie pour pouvoir choisir un dé, on râle de n’avoir aucun choix intéressant. Le jeu est là ! En octobre 2015, je pars à Essen pour la grande messe du jeu en Allemagne. Et pour une fois, j’ai un prototype à emmener dans ma valise. Le soir à l’hôtel, on enchaîne les parties avec les potes. Les parties sont très chouettes : ça râle, ça couine, ça trahit ! Parfait ! C’est tout ce que j’aime ! Mais bon, il faut bien bosser un peu aussi et j’ai pris trois rendez-vous pour montrer le jeu. Matagot se montre très vite intéressé. Et quelques semaines plus tard, un contrat est signé. Tout s’est passé très rapidement.
Bahamas – Acte 3 : de l’édition à la boutique
Le travail de développement sur le jeu a été beaucoup plus long. Il aura fallu presque 3 ans pour arriver à la version finale du jeu. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec Joseph Foussat (chef de projet chez Matagot à l’époque) sur les pouvoirs des personnages et les mécaniques. Il a notamment eu l’idée d’ajouter une autre condition de victoire avec la présence d’un flic infiltré parmi les joueurs, mais sans utiliser de rôle caché. Superbe idée qui a beaucoup dynamisé le jeu. Par contre le thème, même s’il m’amuse beaucoup, ne fonctionne pas très bien. Un jeu de zombies sans zombies c’est assez particulier. Pierô, qui illustre le jeu, grâce à son expérience de parachutiste et son amour pour le film Point Break, a l’idée de braqueurs qui s’enfuient en avion avec le butin. Mais l’avion tombe en panne et il n’y a pas assez de parachutes pour tout le monde. L’idée fonctionne très bien et emballe tout le monde. Pierô va même encore plus loin et dessine tous les personnages du jeu avec nos traits et ceux de nos proches. Tellement classe ! Dernier détail et pas des moindres avant la sortie du jeu : le titre ! J’ai toujours été très mauvais pour trouver des bons titres de jeu. Et là, un grand merci à Antoine Bauza qui a trouvé ce titre qui marche tellement bien.
Racontez-nous une anecdote marquante qui vous est arrivée durant le développement du jeu.
Un des moments qui m’a le plus marqué c’est pendant le Festival International des Jeux de Cannes, juste après la sortie du jeu. Nous avons organisé une partie sur le stand Matagot ! Mais attention c’était une partie un peu spéciale. En effet autour de la table nous avions des invités spéciaux : les vrais personnages du jeu, ceux qui ont inspiré les illustrations. Et nous avons tous joué notre propre rôle. C’était un moment super agréable, même si bien sûr on s’est engueulés et trahis et que c’est encore Gwen qui a gagné avec 3 parachutes et beaucoup trop d’argent... comme d’habitude quoi !